dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

08 ¦ 10 ¦ 2020
Médiations

Le Décalcomato, fabrique des portraits de l'Odylus

08 ¦ 10 ¦ 2020 · Médiations Le rôle des pratiques artistiques
En questionnement La création d'un outil pour faciliter l'échange entre artistes et résident·e·s
Illustration Galerie de portraits décalcomatés – Salon de l’Odylus, juillet 2020
Auteur·e·s Cécilia

↘ Cécilia et Maud sont designeuses graphiques. Elles ont réalisé de nombreux projets collectifs et transdisciplinaires. Elles conçoivent le graphisme comme une pratique destinée à l’espace public : les images qu’elles produisent ne doivent pas être des objets en soi mais bien des supports de rencontres, capables de susciter surprises et discussions et de porter des revendications. ↙

Quand Zaï et le collectif Horizome nous ont invitées à venir en résidence à l’Odylus, fin mai 2020, deux missions avaient été évoquées. D’une part, la restitution, sous forme éditoriale, du travail de recherche mené par Pauline et Kevin depuis l’ouverture du lieu, et d’autre part, la création d’un projet artistique impliquant les habitant·e·s, un projet qui leur permettrait de garder une trace de leur séjour à l’approche de la fin du projet.

Cette temporalité – le fait de clore le cycle des résidences, d’être sur place pour les trois derniers mois de l’aventure – a profondément influencé la manière dont nous avons pensé notre proposition. Plusieurs points de vigilance étaient à observer.

  • Les résident·e·s avaient déjà été beaucoup sollicité·e·s, car de nombreux·ses intervenant·e·s étaient déjà intervenu·e·s à l’Odylus, et la plupart avec une démarche participative. Il fallait éviter d’être dans un échange à sens unique et trouver ce que nous pourrions leur apporter, à notre petit niveau.
  • Nous n’étions pas leur priorité. Concevoir un projet dont la réussite reposerait en grande majorité sur l’investissement des résident·e·s, notamment en temps, reviendrait à nier les problématiques et les angoisses auxquelles iels étaient confronté·e·s. Il fallait donc proposer quelque chose de simple, qui ne soit pas trop intrusif et qui soit léger. Léger, à la fois en terme de dispositif (que cela ne demande ni une tonne de matériel ni des heures aux participant·e·s) et d’esprit, pour tenter tant bien que mal d’adoucir le quotidien.
  • De nombreuses personnes à l’Odylus ne parlent pas, ou peu, le français. Si nous voulions être aussi inclusives que possible il fallait imaginer une solution pour ne passer par les mots, écrits comme oraux. Il fallait aussi penser une forme qui soit immédiatement compréhensible, accessible, qui ne nécessite pas d’explications de notre part donc, et qui soit suffisamment originale pour donner envie de participer.

Assez vite, il nous a semblé pertinent de concevoir le site avec les résident·e·s, ce qui n’était pas prévu au départ. Le degré de collaboration restait à définir. Pour les raisons énoncées ci-dessus, cela s’est avéré plus compliqué que nous le pensions. Nous sommes parvenues à les impliquer dans le processus éditorial par des biais détournés mais sans doute moins que nous l’aurions souhaité. Cependant ce nouvel objectif a renforcé encore la nécessité et l’envie de rencontrer les gens, adultes comme enfants, francophones et allophones, rapidement. Nous souhaitions dans un premier temps être identifiées à l’Odylus, gagner leur confiance et à terme, nous l’espérions, leur amitié. Et pour cela, dans la conception du projet, nous devions garder à l’esprit les trois points de vigilance que nous avions identifiés.

La réflexion sur ce que nous pouvions apporter aux habitant·e·s de l’Odylus n’a pas été facile non plus. La principale difficulté que rencontrent ces personnes est la perspective de se retrouver sans logement à la fin du bail, le 31 octobre. Il serait donc tentant de penser que c’est à ce sujet, sur ce terrain, que nous devions intervenir et proposer des solutions. Néanmoins, nos compétences, la raison de notre venue, nous invitent à plus de modestie. Même s’il peut faire des miracles en termes de communication, le design graphique n’a malheureusement jamais permis de trouver un logement à quiconque, du moins à notre connaissance. Nous nous sommes donc rabattues sur un projet à notre mesure.

Qu’est-ce qui pouvait-être rapide à faire, à notre portée de graphistes, qui ne nécessitait pas de parler français, et permettrait aux résident·e·s de passer un bon moment et de garder un souvenir de cette expérience à la fois individuelle et collective ? L’idée du portrait, et de la galerie de portraits, s’est imposée. Dessiner un maximum de personnes vivant, travaillant ou passant à l’Odylus c’était le moyen idéal pour rencontrer les gens, échanger avec elleux et leur offrir quelque chose que nous savions faire. Par extension, cela revenait à faire le portrait de l’Odylus, puisqu’il nous paraissait évident que le projet s’incarnait d’abord dans les individus qui le composaient et le portaient.

Pour simplifier le travail de dessin, nous avons bricolé le Décalcomato avec l’aide de Thomas, référent concierge du projet, et de Paul, alors en service civique. Il s’agit d’un cadre en bois avec une plaque de verre, tout ce qu’il y a de plus classique, maintenu à la verticale par deux pieds triangulaires, de tel sorte qu’il peut tenir debout sur une table. Le modèle s’installe d’un côté, le·la dessinateur·rice de l’autre et, en fermant un œil pour faire la mise au point, on peut ainsi suivre les lignes du visage avec le crayon, comme si on décalquait la personne en quelque sorte ! Le système impose au modèle de ne pas bouger pendant 3 à 5 minutes… ce qui complique un peu la chose lorsque l’on a affaire à un enfant ! Il en résulte un portait généralement assez ressemblant mais qui comporte tout de même une part d’interprétation, en fonction des traits du visage que l’auteur·rice choisit de faire figurer ou non. Une fois le dessin terminé, nous le prenions en photo, l’exportions vers l’ordinateur où la photo était traitée de façon à ne conserver que les lignes, et nous l’imprimions. Un exemplaire était donné à la personne, l’autre était accrochée au mur.

Kevin, qui est chercheur et psychologue, nous a raconté que le même type de système était utilisé pour redonner confiance aux personnes souffrant d’un manque d’estime personnelle, les grand·e·s brûlé·e·s ou les victimes d’accident par exemple. C’est une anecdote qui nous a intéressée, elle trouvait un écho particulier à l’Odylus où la question de la perception de soi est un véritable sujet, qui a été notamment été traité par Marion, pendant sa résidence. Mais à dire vrai, ce n’est pas ce qui a motivé la conception du Décalcomato. Nous avons davantage réfléchi en termes d’«universalité» en cherchant à produire un objet qui pourrait être plaisant, amusant, valorisant à faire pour un grand nombre de personnes, quelque soit l’âge, le sexe, la nationalité, la langue ou le parcours.

En totalité, nous avons réalisé une soixantaine de portraits. Certain·e·s résident·e·s sont revenu·e·s deux, parfois trois fois. Certain·e·s modèles sont venu·e·s dès le premier jour, d’autres ont repoussé l’échéance jusqu’au dernier moment (nous ressortions régulièrement le Décalcomato, à l’occasion d’autres ateliers que nous avons menés par la suite, de visites ponctuelles ou d’événements  le dernier portrait date du 10 septembre). Certaines personnes ont encadré leur exemplaire, d’autres nous ont demandé des réimpressions pour leur famille, d’autres encore l’ont oublié sur la table.

Pour nous, c’est un dispositif qui fonctionne en cela qu’il a vraiment rempli son rôle de «facilitateur de rencontres». C’est clairement grâce à ce cadre tout simple que nous avons pu établir les premiers contacts et clarifier nos intentions auprès des résident·e·s. C’est de ce premier échange qu’ont découlé les suivants et qu’ont été rendues possible les autres propositions que nous avons faites (avec moins d’adhésion pour la chronologie participative et moins de participant·e·s également pour l’atelier de co-création d’affiches mais dans ce dernier cas, un degré d’implication beaucoup plus important qui, selon nous est un indicateur au moins aussi positif que le nombre de participant·e·s.)

La fin de notre résidence approche, nous quitterons l’Odylus demain, vendredi 9 octobre et là encore, c’est via le Décalcomato que nous avons imaginé un petit cadeau d’au revoir pour l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées. Une affiche où se croisent pêle-mêle tous ces portraits des personnes ayant « fait » l’Odylus, au milieu de quelques signes qui évoquent le lieu : la gaufre, la bombe prête à exploser, la clé, la souris, la tasse de café, la main ouverte, le poing levé et le cœur.